S’il faut se féliciter de l’émergence récente de la thématique
du coût de travail en France, on peut regretter que la question de la flexibilité
soit restée dans l’ombre. Pourtant les pratiques actuelles en matière de restructuration
conduisent à une telle inefficacité économique et à un tel surcoût latent du
travail en France que les entreprises contournent maintenant systématiquement
les mécanismes réguliers d’une saine gestion des ressources humaines. Nous
sommes ainsi dans une situation paradoxale où les règles de protection des
salariés se retournent contre les intérêts qu’elles cherchent à défendre
engendrant ainsi des inégalités grandissantes face à l’emploi, un
malthusianisme systématique des embauches et, au final, une inefficacité
sociale qui vient se cumuler à l’inefficacité économique.
Lorsqu’une entreprise est face à une crise ou à une réduction
de son activité, elle doit réagir vite pour éviter de se trouver dans une
spirale où des surcoûts supportés trop longtemps dégradent durablement sa
compétitivité. Or la durée des procédures et les risques juridiques associés
sont tels qu’ils deviennent l’enjeu principal des négociations entre
partenaires sociaux.
Ainsi dans le cadre des plans de restructuration, le temps
et la sécurité juridique deviennent des monnaies d’échange et un chef
d’entreprise préférera payer plutôt que de prendre le moindre risque ou de
souffrir des retards importants. On « achète » ainsi sa sérénité par
la mise en place à peu près systématique de plans de « départs
volontaires », façon de monnayer une fausse volonté de départ des salariés
contre une somme d’argent en général comprise entre un an et demi et deux ans
de salaire. Les entreprises sont ainsi conduites à voir partir leurs salariés
les plus qualifiés et les plus jeunes (ceux qui ont la capacité de rebondir
facilement) au détriment de toute gestion durable des compétences.
Ce mécanisme conduit à des surcoûts tellement exorbitants que
toutes les entreprises considèrent qu’embaucher en France engendre une dette
latente, jamais comptabilisée mais bien réelle, qui vient s’ajouter aux
salaires et aux charges. Les groupes internationaux sont de plus en plus
réticents à embaucher en France et les chefs d’entreprises n’ont qu’une obsession :
comment éviter d’embaucher. Et c’est ainsi que se mettent en place des
mécanismes dont les délocalisations ne sont qu’un aspect limité.
Le premier de ces mécanismes est un recours massif aux
emplois précaires. C’est ainsi que la France est championne de l’intérim, des
stages sous-rémunérés et des CDD éternellement reconduits, ce qui représentent plus
de 25% des emplois. Il en résulte une absence à peu près totale de protection
pour une part importante des travailleurs français, mais aussi une rotation
absurde d’une partie du personnel et ainsi une déqualification de la force de
travail de l’entreprise.
Ce malthusianisme des embauches conduit aussi à une pression
absurde sur les effectifs conduisant à des phénomènes de plus en fréquents de
souffrance au travail et de détachement du projet de l’entreprise. Il en
résulte également une aversion au risque grandissante empêchant d’investir dans
l’innovation ou dans l’amélioration de la qualité.
Enfin, une réelle inefficacité sociale s’ajoute au gâchis
absurde des ressources de l’entreprise. Ces plans de départ
« généreux » ne le sont en effet que pour ceux dont l’employabilité
leur permet de retrouver un emploi rapidement. Pour les autres, le « chèque
de départ » n’est souvent qu’un feu de paille et les populations les plus fragiles
sont au final les victimes de ce marché de dupes du volontariat. Ainsi la
collectivité finance massivement des effets d’aubaine pour une majorité et délaisse
la minorité qui aurait le plus besoin de requalifications et de reconduite à
l’emploi.
La difficulté politique de cette question est indéniable.
Pour autant, il doit être possible de construire un nouvel équilibre social où
une plus grande liberté et une meilleure sécurité seraient données aux
entreprises en contrepartie d’une responsabilisation plus forte et plus
soutenue dans le temps envers les salariés touchés par des restructurations. Il
conviendrait d’établir en amont des stratégies sociales pluriannuelles.
Ensuite, il faudrait que les restructurations soient accompagnées de plans d’actions
conçus sur la durée pour permettre un retour à l’emploi des populations
concernées et que ces plans soient assortis d’obligations de résultats.
Bertrand Mabille est vice-président exécutif de Carlson Wagonlit Travel France, Europe du Sud et Maghreb
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